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Nouvelles des membres | June 5, 2023

Portrait d'une auteure qui n'a jamais rêvé d’écrire … et pourtant !

« Chaque matin, je cours pour aller écrire. Je n’ai pas de problème de page blanche, j’ai un problème de page noire car il y a toujours trop d’idées sur ma page. »

Le deuxième épisode de la saga des auteures inspirantes est consacré à une scénariste qui n’a jamais rêvé d’écrire et pourtant, elle exerce le métier depuis plus de 23 ans. Elle est connue pour ses séries télé populaires aux thématiques sociales percutantes : Emma, La promesse, Cheval Serpent, Unité 9 et Toute la vie. Son dernier succès en date, À cœur battant, diffusé depuis janvier sur ICI Télé, lève le voile sur le grand tabou de la violence conjugale et intrafamiliale.

L’écriture, entre le désir et la peur

Danielle Trottier a entamé sa carrière d’auteure à l’âge de 40 ans, une période pendant laquelle elle se remettait beaucoup en question sur le plan professionnel. Muséologue de formation, elle a occupé le poste de directrice d’une institution muséale pendant 20 ans. Elle a également développé les programmes de l’attestation d’études collégiales et du diplôme d’études collégiales en techniques de muséologie. Elle a alors commencé à se poser des questions : « Est-ce vraiment ce que je veux faire ? Y a-t-il autre chose que j’aimerais faire de ma vie ? »

Elle a pris une année sabbatique et c’est à ce moment-là qu’on lui a proposé de créer un programme de formation axé sur les services d’éducation dans les musées. Son rôle consistait à scénariser des visites et à mettre en place un système permettant de rendre les expositions plus didactiques. Elle s’est inscrite à un cours de scénarisation dans une école privée en pensant que cela pouvait l’aider à remplir son mandat. Rapidement, elle s’est laissée prendre au jeu. On lui a demandé d’écrire un court métrage avec cinq personnages et trois lieux. C’est ainsi qu’elle a écrit le début de l’histoire d’Emma qui s’est retrouvée en ondes peu de temps après. « Le professeur m’avait dit que ce n’était pas ce qui était demandé mais pour elle, c’était le début d’une grande histoire et elle m’a suggéré de faire une heure au lieu de quinze minutes. J’ai continué à écrire et on m’a conseillé de rencontrer des producteurs. J’ai trouvé un producteur et un diffuseur rapidement : six mois plus tard, j’avais changé de métier et j’étais devenue auteure pour la télévision. »

Danielle avoue que la vitesse qu’avait pris sa carrière était sa plus grande difficulté car elle n’avait jamais envisagé de faire ce métier. « Les premières années, je me sentais vraiment incompétente parce que je semblais savoir ce que je faisais alors qu’en réalité, j’étais en plein apprentissage. » Une première année extrêmement stimulante mais toute aussi épuisante qui lui a permis de signer un contrat pour 27 épisodes.

À chaque saison, elle signait un nouveau contrat et s’engageait auprès d’un producteur, d’un diffuseur et d’acteurs. D’une année à l’autre, elle plaçait instinctivement assez de ressorts dramatiques pour que l’histoire ne soit pas terminée. « Je voulais toujours continuer à me plonger dans l’histoire mais en même temps, j’étais terrifiée de le faire. »

L’idée que de grands comédiens allaient jouer ses textes la stressait aussi énormément. « J’ai souvent vu Monique Miller au théâtre. Quand je savais qu’elle avait mes textes entre les mains, je ne dormais pas si bien que ça. »

« L’écriture a fait de moi une citoyenne préoccupée par la société »

Danielle s’est spécialisée dans la série annuelle et se considère comme une auteure à déploiement. Selon elle, le défi pour les scénaristes de ce format est d’aborder des sujets avec beaucoup de profondeur, qui peuvent s’étaler sur plusieurs saisons, tout en évitant de se répéter et de lasser les téléspectateurs.

« Après avoir écrit Emma et La promesse, j’avais développé suffisamment de réflexes d’auteur et je savais que je pouvais aborder des sujets plus complexes qui m’obligeraient à faire beaucoup de recherche. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler sur Unité 9. L’écriture a été précédée de cinq années de recherche durant lesquelles elle a visité des prisons et rencontré des femmes qui avaient écopé de longues peines. Ce fut très difficile pour elle de convaincre les diffuseurs que les histoires de détenues pouvaient être intéressantes. « Mais j’avais compris qu’il s’agissait en réalité d’histoires dont on ne voulait pas entendre parler. »

Après Unité 9, elle a été mise en contact avec le centre Justice Réparatrice qui aide les agresseurs et les victimes à se rencontrer. Elle a milité pour leur cause et a piloté, en collaboration avec ses producteurs chez Aetios, un documentaire. Elle a aussi contribué à la mise en place d’un programme de langage non violent avec des spécialistes au sein de l’établissement Joliette.

Dans la série Toute la vie, elle a abordé un sujet très sensible dont on en entend peu parler : les adolescentes de 15 ans qui portent un enfant. Il y a environ 1 500 cas chaque année au Québec. Étant issue d’une famille abitibienne modeste, Danielle a eu la chance de grandir dans une bonne structure sociale qui lui a donné toutes les chances de réussir. « Pendant l’écriture de Toute la vie, ma belle-fille, qui a eu un enfant très jeune, et moi avons mis en place la bourse d’étude Marie-Labrecque pour aider financièrement les très jeunes mamans à poursuivre leurs études. »

Dès le début de la diffusion de Toute la vie, Danielle a amorcé l’aventure À cœur battant. « Pour moi, c’était évident que je devais parler de la source de la violence et donc de ceux qui la produisent. C’est clair qu’aider les femmes est une priorité mais il faut aussi travailler en amont. » Danielle avoue être interpelée par tous les sujets qui touchent notre société : « L’écriture a fait de moi une citoyenne sensible aux causes sociales et mon défi est de trouver, à chaque fois, un sujet qui va me porter tellement fort que je serai inarrêtable. »

Les modèles féminins qui l’ont inspirée 

Tout au long de son parcours, Danielle Trottier a été inspirée par plusieurs scénaristes à l’instar de Mia Riddez, Lise Payette ou encore Janette Bertrand qui, pour elle, ont osé écrire sur des sujets qui sortaient de l’ordinaire avec une certaine critique sociale. « Elles ont préparé le terrain pour que des auteurs comme moi, écrivent de cette manière-là. »

Pour Danielle, Fabienne Larouche est l’auteure et productrice qui a fait évoluer la télévision d’une façon absolument incroyable : « Elle est avant-gardiste, moderne, stimulante. Elle fait confiance aux gens et notre point commun, c’est que nous voulons toutes les deux que le téléspectateur vive quelque chose. » Pour Unité 9, Danielle s’est naturellement tournée vers elle car elle était convaincue que c’était la seule productrice capable de vendre cette histoire-là. « On y est arrivé après 5 ans. On a travaillé dur toutes les deux et j’avoue qu’elle était parfois plus résistante que moi. Pour moi, c’est un grand modèle féminin car elle a pu écrire tout en produisant d’autres auteurs et aujourd’hui encore, après 15 ans de collaboration, je considère que je travaille avec quelqu’un d’extraordinaire. »

Ses conseils pour la relève

Premièrement, il faut maîtriser son sujet. « Selon mon expérience, on ne parle bien que de ce qu’on connait le mieux. Écrire, c’est beaucoup réfléchir, penser à comment on veut que ce soit, penser à un univers parce qu’on fait parler des personnages en leur donnant quelque chose à dire. » Deuxièmement, il faut réfléchir aux émotions que le sujet peut provoquer. « On doit écrire sur quelque chose qui nous touche parce que si moi, en tant qu’auteure, je ne suis pas touchée par quelque chose, j’écris moins bien. Mon moteur le plus puissant, c’est la colère. Quand un sujet me met en colère, j’aime l’explorer en essayant de comprendre ce qui provoque cette colère. » Une autre qualité qui, pour elle, est très importante est la persévérance. « Je ne connais personne qui a écrit une série en 6 mois. Moi, ça m’a coûté des années de ma vie. Je suis habitée par l’écriture 24 h/24. Une fois que j’ai fini mon travail de structure, j’ai presque un village dans ma tête : il y a des rues, des maisons. Une fois que ce travail est fait, je me promène dans cet univers-là et je commence à écrire. »

Danielle souligne qu’il y a actuellement une belle relève, de jeunes auteurs très prometteurs, débordants d’imagination et qui possèdent déjà le savoir de la scénarisation. « J’aimerais un jour me consacrer à aider les jeunes scénaristes à se lancer dans les séries annuelles car je pense que pour les téléspectateurs québécois, c’est un moteur de communication exceptionnel. »

Qu’est-ce qu’une bonne histoire ?

« Pour moi, une bonne histoire, c’est parler de ce qui nous rassemble, de ce qui nous ressemble, ce qui nous touche et nous aide à mieux vivre. Dans les séries, les gens cherchent toujours à s’identifier. On regarde la télévision pour se projeter. Écrire m’a appris à vivre. Ma vie d’auteure est extrêmement riche. J’ai rencontré beaucoup de gens très intéressants et touchants qui m’ont permis de vivre des choses incroyables. Je ne remercierai jamais assez l’écriture de m’avoir donné cette vie-là. »

Doctorat honoris causa 2023

Danielle Trottier recevra, le 10 juin prochain, un doctorat honoris causa attribué par l’Université du Québec en Abitibi Témiscamingue (UQAT). Ce doctorat d’honneur représente la plus haute distinction que l'Université peut décerner. Il rend hommage à des personnes qui ont atteint un haut degré d'excellence dans leur carrière universitaire, professionnelle ou scientifique ou qui se sont distinguées par leur œuvre sociale, culturelle, artistique ou humanitaire. Danielle recevra cette distinction en même temps que Madame Frances Mowatt, traductrice et enseignante en langue anicinape.

Félicitations à notre auteure !

 

 

Entrevue réalisée le 08 mai 2023,

Sonia Sekhi, conseillère aux communications